vendredi 22 octobre 2010

Article publié par Fabien Perucca dans le n° 152 de Connaissance de l’Eure (avril 2009), revue trimestrielle éditée par la Société libre d’Agriculture, Sciences, Arts et Belles-Lettres de l’Eure. Le texte en est rigoureusement identique (seules quelques illustrations ont été modifiées), les appels de notes renvoient en fin d’article et vous pouvez cliquer sur la plupart des images non légendées pour les agrandir.


DE VERNEUIL AU NOUVEAU MONDE :
paul Bertrand DIt saint-arnaud

Chef-lieu de canton du sud de l’Eure, la ville de Verneuil s’appela « Verneuil au Perche » jusqu’à la Révolution, puis Verneuil-sur-Avre par la suite (il est vrai que le Grand-Perche d’autrefois allait jusqu’au bout de l’Avre, à Dreux). C’est d’ici que, à la fin du xviiᵉ siècle, un certain Paul Bertrand est parti pour la Nouvelle-France. Un illustre inconnu dont les descendants en Amérique du Nord – du Québec à la Louisiane – se comptent de nos jours, après dix ou onze générations selon les branches, au nombre recensé de vingt-cinq mille pour un nombre estimé de cent mille.

Sans qu’il soit complètement vérifié que tous appartiennent à la même lignée, on relève parmi les Bertrand vernoliens(1) :
– un Michel Bertrand, maître de la confrérie de charité de l’église Saint-Jean en 1522, maire de Verneuil, échevin et prévôt de la charité de l’église Notre-Dame en 1527 (lui-même ou un autre Michel Bertrand étant par ailleurs signalé comme membre de la confrérie des Pèlerins en 1540) ;
– un Denis Bertrand, capitaine d’une compagnie de carabiniers en 1593 ;
– un Hugues Bertrand, greffier de la mairie de Verneuil en 1671, père d’une Catherine Bertrand elle-même femme de Jacques Prévost, reçu « roy » de la confrérie de Notre-Dame de Liesse en 1676 ;
– un Jean Bertrand, époux de Marguerite Bouton et porte-croix de la charité de Notre-Dame en 1674 (peut-être est-il l’un des frères de Paul) ;
– et un Nicolas-François Bertrand, époux d’Élisabeth Gincestre, également reçu roy de la confrérie de Notre-Dame de Liesse en 1677.
C’est de toute évidence un mérite que d’appartenir à ces confréries bourgeoises de charité, si typiques de la Normandie. Pour devenir chariton, en effet, il convient non seulement d’être élu ou coopté, donc d’avoir la meilleure des réputations possibles, mais encore de jouir d’une certaine aisance, une assez forte contribution pouvant être exigée afin de financer les bonnes œuvres confraternelles. Lesquelles consistent, pour l’essentiel, à offrir une ultime sépulture aux indigents ainsi qu’aux morts de famine, épidémie, fronde ou guerre.

La tour de la Madeleine à Verneuil 
Le Pot d’Étain 
Les futurs parents de Paul Bertrand convolent en justes noces le 28 février 1645. Leur acte de mariage est peu ou prou libellé comme suit dans les registres de l’église de la Madeleine à Verneuil : « Février mil six cent quarante et cinq, le dernier du[dit] mois Jean Bertran[d] épousa Marie Nelz, p[résen]t m[essieu]rs Pierre [illisible], Jacques Bertran[d], Nicolas Paillard, Gabriel Laisné. »
Jean, le père de Paul Bertrand, ne va pas déroger à la règle familiale. On le trouve inscrit avec son épouse, au titre de l’année 1658, en tant que frère et sœur de la charité de la Très Glorieuse Vierge Marie de Notre-Dame. Deux ans plus tard, il est mentionné comme « bourgeois de Verneuil ». Ce qui revient à dire qu’il s’honore d’être l’un des vingt-quatre notables habilités à élire le maire de la ville.
Toujours en 1660, par contrat passé le mercredi 2 juin devant les tabellions du roi Couldroy et Lecerf, Jean Bertrand acquiert le droit d’exploiter l’hostellerie vernolienne du Pot d’Étain, moyennant la reconnaissance d’une hypothèque de mille quatre cents livres et le versement d’une rente annuelle et perpétuelle de cent livres à la sœur Scholastique Guyonne de Rouxel de Médavy. Il s’agit là de la fondatrice de l’abbaye royale des sœurs bénédictines de Saint-Nicolas de Verneuil (1608-1669). L’abbesse a peut-être hérité le privilège de cette rente-hypothèque après la condamnation pour dette du curé de Baslines Gilles Farcy, une dette qu’aurait contractée son très proche parent le prêtre Pierre Farcy(2). 
L'Almanach-annuaire de Verneuil 1896 
Du Pot d’Étain, nous avons pu situer l’emplacement dans le Verneuil d’alors grâce aux recherches menées par MM. Raymond Saint-Arnaud (de l’île d’Orléans), Régis Billon et Pierre Durand, mais aussi et surtout grâce à Mme Astrid Lemoine-Descourtieux. Cet établissement, qui jouxtait un ancien hôtel de ville, occupait une grande portion de la rue Thiers qui allait de la rue de la Madeleine à la place de la Madeleine actuelles. Il a été rasé entre 1864 et 1866, quand la rue Thiers fut percée afin de relier le centre-ville à la gare du chemin de fer. L’enseigne du Pot d’Étain n’a pas disparu pour autant. Elle s’est transportée au n°13 de la future rue Gambetta pendant près d’un siècle, puis l’hôtel-restaurant s’est transformé en brasserie et, il y a quelques années, celle-ci a déménagé au n°1 de la place de Verdun.

La naissance de Paul Bertrand
Entre-temps, Jean Bertrand et Marie Nelz ont eu cinq enfants sitôt nés que portés sur les fonts baptismaux de l’église de la Madeleine : Françoise (le 23 février 1648), Catherine (le 25 novembre 1649(3)), Marthe (le 23 août 1651), Nicolas (le 6 septembre 1653) et Jean (le 6 juillet 1656(4)).
Catherine a eu pour parrain l’« honorable homme René de La Mare, commis aux tailles de l’élection de Verneuil », et pour marraine « damoiselle Catherine de Brétignières ».
Marthe a eu pour parrain « Jacques de Chevestre, prêtre curé de Cintray, écuyer sieur dudit lieu(5) », et pour marraine « dame Marthe Maucorps ».
Nicolas a eu pour parrain « Paul écuyer sieur de Blessebois, receveur des tailles en cette élection » (sur lequel nous reviendrons), et pour marraine « Barbe femme de Maître de Dambry(6) ».
Jean a eu « noble homme Claude Pelar » (époux de Françoise Beurier) et Agnès Thiery pour parrain et marraine, ce devant François de Quidebœuf, curé de la Madeleine. Pourquoi le prénom de Jean ? On est réduit aux conjectures.
S’agissant de Paul Bertrand, à la fois le sixième enfant et le troisième fils du couple, il vient au monde dix-huit mois après l’achat du Pot d’Étain. Son acte de naissance est ainsi rédigé : « Novembre 1661 Le 27ᵉ jour a été baptisé par nous vicaire soussigné, Paul Jean fils de Jean Bertrand et Marie Nelz, ses père et mère, levé par noble homme Paul Beurier sieur de Cougnay(7) assisté de Anne Marc parrain et marraine. » Signé Esnoult, avec paraphe.
Les titres et qualités de tous les parrains et marraines précités prouvent à l’envi, s’il était besoin, que Jean Bertrand et Marie Nelz faisaient bel et bien partie du gratin de Verneuil. Quant à leur fils Paul Jean, que nous nous contenterons dorénavant de prénommer Paul afin d’éviter toute confusion, c’est celui-là même qui va bientôt partir en Nouvelle-France.

De Le Veneur à Jacques Cartier
Comment se fait-il qu’un Vernolien du xviiᵉ siècle embarque pour l’autre côté de la mer, alors même qu’il habite aux limites profondes de la Normandie ? Afin de le comprendre, ne serait-ce qu’en partie, il faut remonter dans le temps. Car chose étonnante, si Jacques Cartier a pu conquérir la Nouvelle-France en 1534, c’est à un autre natif des bords de l’Avre qu’on le doit.
Le village de Tillières(8), situé à douze kilomètres à l’est de Verneuil, est de longue date le fief de la haute et puissante famille des Le Veneur. Fils de Philippe, baron du lieu, Jean Le Veneur y a vu le jour en 1505. Chanoine de Paris et futur cardinal (mais encore neveu, frère et oncle d’évêques, dont un d’Évreux), c’est en tant que comte-évêque de Lisieux et Grand Aumônier de France que, en 1532, il accueille [au manoir de Brion] François Ier venu en pèlerinage au Mont-Saint-Michel, dont il est également l’abbé commendataire. Il en profite pour présenter au roi le navigateur malouin Jacques Cartier, parent de l’un de ses moines. Et pour lui vanter ses mérites afin de « conduire des navires à la découverte de terres nouvelles dans le Nouveau Monde […] en considération de ses voyages en Brésil et en Terre-Neuve ». 
Jacques Cartie
Jean Le Veneur n’en reste pas là. Au nom du monarque, il intercède auprès du pape Clément VII afin que l’on revienne sur le partage des Amériques qui a été convenu par le traité de Tordesillas entre Espagnols et Portugais, et qu’une bulle de Jules II a entériné en 1506. Pour cela, il pousse l’audace jusqu’à faire dire à François Ier : « Je voudrais bien voir la clause du testament d’Adam [et Ève] qui m’exclut du partage du monde. » Ayant obtenu gain de cause en 1533, Jean Le Veneur participe au financement de l’expédition qui aboutira, un an plus tard, à la prise de possession du Canada par Jacques Cartier(9). Elle se concrétisera par l’érection à Gaspé d’une croix surmontée d’un drapeau à trois fleurs de lys marqué d’un « Vive le Roi ». Mais il n’est découvert ni « grant quantité d’or et autres riches choses », ni de route vers les Indes ou la Chine qui fassent que nos souverains se prennent ensuite d’une folle passion à l’égard d’une si lointaine contrée.

De Champlain à Verneuil
Il faut attendre l’an 1608 pour que Samuel de Champlain fonde la première « abitation » de la Nouvelle-France. D’où le quatre centième anniversaire qui a été fièrement et dignement fêté, en 2008, par la ville de Québec. Les occupants de ce comptoir sont d’abord quelques dizaines de Normands percherons, souvent venus de Tourouvre (dans l’Orne, à vingt-huit kilomètres à l’ouest de Verneuil), pour faire trafic de peaux et fourrures avec ceux que l’on appelait à l’époque les « sauvages ». Les chapeaux en poil de castor sont alors en vogue dans toute l’Europe, d’où la fortune de la compagnie qui va détenir ce monopole commercial. Chaque bateau affrété pour le Canada, même à vide, rapportera presque dix fois le coût de son armement…
Quant aux « sauvages », les Français vivent en bonne intelligence avec beaucoup d’entre eux. Micmacs, Abénaquis, Montagnais, Hurons et Algonquins sont même devenus des alliés. Et tout se passe comme s’il « était plus facile de faire d’un Français un sauvage que d’un sauvage un Français ». Résultat, les coureurs de bois et les mariages mixtes (c’est-à-dire de sujets du roi avec des Indiennes) se multiplient(10). Certes Rome a reconnu une âme aux gens des peuples autochtones, mais l’Église entend bien qu’ils se convertissent.
Or donc, en 1661, quand Paul Bertrand est porté sur les fonts baptismaux de Verneuil, la petite colonie française qui s’est établie sur les rives du fleuve Saint-Laurent compte à peine trois mille habitants, dont une moitié de Normands au sens large. Et cela fait peu de temps que sœur Judith Moreau(11) et Mgr François de Laval ont débarqué sur cette nouvelle terre de mission, ce dernier en tant que vicaire apostolique de Québec.

Mgr François de Laval
Lui, tous les Canadiens d’hier et d’aujourd’hui savent qui il est. Né et baptisé le 30 avril 1623 dans l’église consacrée par son père Hugues à Montigny, une bourgade située entre Verneuil et Tillières mais sur l’autre rive de l’Avre(12), François de Laval est devenu le chef de la branche cadette de la deuxième maison des Montmorency-Laval en 1645(13). Ordonné archidiacre d’Évreux en 1648 grâce à l’entremise de son oncle – l’évêque de cette ville Michel de Péricard –, par un curieux hasard du destin il est d’abord pressenti pour partir vers l’Asie du Sud-Est quand des religieux québécois réclament sa venue. Voici ce que rapporte, à ce propos, l’historien Gilles Bureau(14) :
« Lorsque le père jésuite Alexandre de Rhodes fait des démarches pour doter les régions de l’Orient d’évêques français, François de Laval est proposé pour le Tonkin. Pour s’y préparer adéquatement, il abandonne sa charge d’archidiacre en faveur d’un de ses amis […] à l’été 1654. » 
Mgr François de Laval 
Là-dessus – ayant renoncé à ses biens, privilèges et titre de seigneur de Montigny au profit de son frère –, François de Laval se rend à Louvigny, près de Caen (diocèse de Bayeux). Jean de Bernières y dirige un ermitage où vivent « des personnes désireuses de prier et d’approfondir leur foi ». Mais les démarches qui visent à nommer François de Laval au Canada traînent en longueur. Ce que Gilles Bureau résume ainsi : « L’opposition de l’archevêque de Rouen, qui revendiquait des droits sur l’Église de la vallée du Saint-Laurent, retarde la consécration épiscopale de François de Laval qui détient ses bulles depuis juin 1658. Il devait être ordonné le 4 octobre 1658 par son ami Mgr François Servien, évêque de Bayeux, mais celui-ci doit s’abstenir devant l’opposition du clergé de France. Les autorités romaines [demandent alors] à Mgr Celio Piccolomini, nonce apostolique à Paris, de procéder à l’ordination épiscopale de François de Laval. »
Du coup, nuitamment et dans la clandestinité, le 8 décembre 1658, « dans l’église abbatiale de Saint-Germain-des-Prés, François de Laval devient […] évêque in partibus de Pétrée, diocèse d’Arabie sans titulaire depuis longtemps en raison des progrès de la religion musulmane ».
Celui-ci peut enfin embarquer à La Rochelle et fonder le séminaire de Québec (future université Laval). Il sera le premier évêque de ce diocèse(15), de 1674 à 1685, et deux fois gouverneur de la Nouvelle-France par intérim. Il se battra contre la vente d’alcool aux Indiens – chez qui elle fait des ravages – et, même après avoir démissionné de sa charge, il poursuivra une vie toute de dévouement et de dévotion jusqu’au jour de son décès à Québec, où il sera inhumé, le 6 mai 1708(16).

Une étonnante coïncidence
Or voici, par ailleurs, ce qu’on peut lire sur une plaque fixée dans l’église de la Madeleine, à Verneuil : « À Mgr Louis Néez, baptisé dans cette église le 11 février 1680, évêque missionnaire du Tonkin 1739-1764, mort à Trai-nhoi le 19 octobre 1764 – Hommage de la Société libre de l’Eure et de la paroisse de la Madeleine, 1912. » Le propre père de Louis Néez, Thomas, fut échevin de Verneuil. S’agit-il là d’un parent plus ou moins proche de Marie Nelz, la maman de Paul Bertrand ? Si, dans les actes religieux et civils qui concernent Louis Néez, son patronyme peut s’écrire Nez aussi bien que Nelz – et même si rien n’est formellement établi à ce jour –, oui, néanmoins, il y a tout lieu de le penser. De surcroît il eut pour parrain le même Louis Roger qui fut témoin au mariage de Catherine Bertrand (sœur de Paul) avec Charles Petremont en 1679(3) : la comparaison des deux signatures et paraphes sur les registres de la Madeleine ne laisse aucun doute à ce sujet.
Comme François de Laval, Louis Néez intégra rue du Bac, à Paris, le séminaire des Missions étrangères. Là, il se trouva pris en main par Mgr Artus de Lyonne, fils d’un ministre de Louis XIV, qui fut missionnaire au Siam et en Chine, évêque de Rosalie et vicaire apostolique du Setchouan. Ce dernier lui ayant légué un prieuré et une pension, Louis Néez embarqua à son tour pour le Setchouan le 1er décembre 1712, via les ports de La Rochelle et de Cadix. Mais le déroutèrent les persécutions religieuses qui venaient d’éclater dans l’Empire du Milieu. Louis Néez ne gagna le Tonkin que trois ans plus tard, s’étant déguisé en matelot anglais pour ne pas être reconnu comme missionnaire. Il fut nommé provicaire, puis sacré évêque de Céomanie (grosso modo la Chine du sud et l’Indochine) et vicaire apostolique de ce qui allait devenir le Vietnam. Sous sa houlette, d’après une statistique de 1751, nous savons pour l’anecdote qu’il fut précisément procédé à 508 bénédictions de mariage, 1050 baptêmes d’adultes, 1321 confirmations, 1692 extrêmes-onctions, 3869 baptêmes d’enfants en danger de mort, 55 991 communions et 68 717 confessions, cela avec l’aide de vingt et un prêtres indigènes(17). La culture du résultat n’est pas nouvelle !

De l’Avre au Saint-Laurent
Paul Bertrand a fort bien pu rencontrer François de Laval lors de l’un ou l’autre des huit ou neuf voyages que ce dernier a effectués en France et jusque dans son village natal de Montigny, par exemple en 1675(18), puis en 1678, en 1680, de 1684 à 1685, et en 1688. Comme le futur évêque l’écrivait au pape Alexandre VII : « La traversée de la mer n’a rien de très dangereux : elle est d’environ huit cents lieues, et se fait en deux ou trois mois, quand on vient de France au Canada ; elle est plus courte quand on retourne en France, et se fait alors très souvent en trente jours. » Et François de Laval en profita chaque fois ou presque pour recruter de nouveaux colons. Sauf que d’autres hypothèses peuvent éventuellement expliquer ou justifier l’exil volontaire de Paul Bertrand. Ainsi la question se pose-t-elle de savoir s’il est parti seul ou avec des connaissances. Car il était rare que l’on tentât l’aventure sans être accompagné par quelques gens de « pays ». Ou sans être sûr d’en rejoindre sur place…
À ce propos, certaines sources indiquent qu’un Vernolien nommé Duret a pu traverser l’Atlantique. Sauf que rien n’atteste son origine. Tout juste trouve-t-on mention au Canada d’un Nicolas Duret dit Saint-Martin(19) dont la filiation, la date d’arrivée et le devenir sont indéterminés. Déduire de son surnom qu’il pourrait avoir un quelconque rapport avec la paroisse de Saint-Martin du Vieux-Verneuil, située sur la rive droite de l’Avre, est une conjecture qui pourrait être retenue.
Il se dit aussi qu’un Barberie, ou Barbery, serait parti de Courteilles (un village des environs de Verneuil) pour séjourner ne serait-ce qu’un temps en Nouvelle-France. Ainsi qu’un François Mercier, fils d’un marchand de Tillières, mais au xviiiᵉ siècle. Quant à Pierre Bénard – qui portait le même prénom que son père et dont la mère Louise (mariés en 1721) était la fille de l’apothicaire François Gibouin –, s’il est bel et bien né dans la ville de Paul Bertrand, il n’est pas non plus de ses contemporains : il a vécu en Louisiane et, le 15 avril 1766, épousé Marguerite Timermans à La Nouvelle-Orléans.
M. Jean-Pierre Raux a recensé d’autres Vernoliens, tels le bonnetier Maurice Auzou et Michel-Louis Falenpin Dufresne, de même que Jacques Maillard, garçon maréchal originaire d’Acon (un bourg tout proche de Tillières), parmi ceux qui ont quitté la Normandie pour la Belle Province sans forcément s’y installer. Mais là encore au xviiiᵉ siècle(20).
Selon L’Ancêtre(21), un certain Jacques Petit (1644 ou 1650-1699) a également vu le jour à Verneuil. Il s’est marié le 25 novembre 1692 à Québec avec dame Marie Viel (ou Niel) dite Le Provençal. Veuve de Zacharie Jolliet, celle-ci était la belle-sœur de ce Louis Jolliet qui fut le découvreur du fleuve Mississippi et le gouverneur d’Anticosti. Trésorier des troupes de la Marine, en l’absence de numéraire Jacques Petit dut émettre une sorte de papier-monnaie dont la valeur était faute de mieux marquée au dos de cartes à jouer, dite monnaie de carte. L’impression et le commerce des jeux de cartes étaient alors un monopole d’État. Une fois les bateaux arrivés de France, quand le fleuve Saint-Laurent n’était plus pris par les glaces, il devenait possible d’échanger lesdites cartes contre des espèces sonnantes et trébuchantes.
Jacques Petit et Paul Bertrand ont pu se connaître à Verneuil, si tant est qu’il s’agît là de la ville natale de Jacques [ce qui paraît désormais établi, voir à ce sujet la rubrique intitulée Histoire du sieur Jacques Petit]. Sinon ils se sont peut-être rencontrés après que Paul se fut engagé dans l’une des compagnies franches de la marine qui formèrent les régiments de Vaudreuil.
Pour le reste, nous ne savons même pas en quelle année Paul Bertrand a entrepris son voyage au long cours. Le chevalier Philippe Rigaud de Vaudreuil débarque en Nouvelle-France le jour de la Fête-Dieu 1687 (jeudi 29 mai) avec huit cents soldats. Puis, devenu marquis de Vaudreuil, il revient en juillet 1693 avec quatre cent vingt-six autres recrues. Dans le premier cas Paul était âgé de vingt-cinq ans, dans le second il avait six années de plus. Nous ignorons aussi depuis quand et pourquoi la voie qui borde le chevet de l’église de la Madeleine se nomme la rue « du Nouveau-Monde ». Pouvait-on y signer son engagement pour le grand départ ? Mystère…

Le pays de la deuxième chance
Au fait, que représente le Nouveau Monde aux yeux des gens de l’époque ? Rien de moins qu’un espoir de vie meilleure.
Le royaume de France est certes le plus anciennement formé, mais encore le plus peuplé, le plus riche, voire l’un des plus vastes et des plus puissants États du vieux continent. Sauf que l’épuisent les épidémies, les calamités agricoles et les disettes, les levées d’impôts et les conflits religieux ou civils, frondes et jacqueries, sans oublier la funeste guerre de Trente Ans et la si dispendieuse construction du fastueux château de Versailles. Depuis 1610, le pays n’a pas connu une année de paix totale. Tant et si mal que les neuf onzièmes des enfants meurent en bas âge. Ce qui fait que la population n’augmente pas. Ou à peine. Les Français ne se compteront un million de plus qu’au moment de la Révolution et de l’Empire, soit vingt et un millions. Et ce million qui leur vaudra encore l’avantage du nombre sur toutes les Russies, les Français l’auront définitivement perdu en 1815.
Voilà pourquoi la Nouvelle-France ne sera jamais une vraie colonie : il ne fallait pas risquer de dépeupler le royaume. Les Antilles furent autrement favorisées – si l’on ose dire malgré l’esclavage –, parce qu’elles rapportaient davantage grâce au lucratif commerce triangulaire.
Pour autant la Nouvelle-France n’est pas, en général, une affaire d’aventuriers. On paye sa traversée, laquelle est fort peu confortable et assez risquée quoi qu’en dise François de Laval. Il faut rejoindre un port et attendre d’y obtenir une place sur un bateau en partance (il n’est évidemment pas de ligne régulière). On peut embarquer en famille ou entre amis, par exemple en venant de Tourouvre ou de Mortagne et en signant un contrat de trois ans avec la Compagnie des Cent-Associés, après avoir réalisé tous ses biens. Ou s’enrôler parmi d’autres jeunes hommes pour défendre la contrée contre ses ennemis iroquois et anglais, auquel cas on devra un temps de service de vingt-quatre à trente-six mois en échange d’une terre à venir. Plus tard, afin de compenser le criant manque de femmes, on enverra là-bas des orphelines – dites filles du roi – afin qu’elles puissent fonder un foyer. Tout cela avec la promesse d’une existence recommencée de zéro, dans un pays neuf qui est des dizaines ou des centaines de fois plus vaste que la France, nul nen sachant encore l’exacte proportion faute d’en avoir exploré les limites.

N’est pas aventurier qui veut
Avant Paul Bertrand, la majorité des émigrants étaient normands. Après lui ils furent souvent militaires. Paul Bertrand appartient à la fois aux deux camps. Deux camps, peut-être même trois si l’on considère qu’à Verneuil comme ailleurs les guerres de religion laissent des traces marquées au fer rouge, ce fer qui, transformé par les grandes forges des bords de l’Avre, l’Iton et la Risle, fournit une bonne partie des canons et boulets de la Royale. Car traces brûlantes il y a. Et bien que n’étant pas un huguenot, Paul Bertrand a sûrement côtoyé l’un d’entre eux dans sa petite enfance : un sacré personnage !
Les prénoms de baptême d’icelui sont, en 1646, Paul-Alexis Blessebois. Fils d’un receveur des tailles de l’élection de Verneuil (charge reprise par sa mère en 1657) qui fut le parrain de Nicolas Bertrand, il a abjuré la religion réformée et pris nom de Pierre-Corneille Blessebois. Sa famille possédait le manoir des Bois-Francs (autour duquel s’est installé Center Parcs) et on l’a surnommé le « Casanova du xviiᵉ siècle », ou le « poète galérien ». Il serait l’auteur d’un « monument linguistique » pour Guillaume Apollinaire, c’est-à-dire du premier roman colonial francophone : Le Zombi du Grand-Pérou(22). Après avoir séduit tous les jupons vernoliens puis fait œuvre d’auteur libertin ou de poète licencieux selon les uns, d’« écrivain escroc », de « pauvre diable de la littérature » voire de « monstre obscène » selon les autres, il finira en effet aux galères et sera vendu comme « engagé » aux Antilles. Il faut le faire !
Ses déboires commencèrent lorsqu’il publia ses fort lestes Aventures du Parc d’Alençon, en 1668. L’un des époux outragés, Hector de Marle, seigneur de Versigny et intendant de la Généralité d’Alençon, jura sa perte. Il en résulta que les titres nobiliaires des Blessebois ne furent pas reconnus, ce qui mit fin à l’exemption d’impôts qui allait de pair. Pis : une vérification des registres de la taille menaçait désormais les revenus de la charge familiale… Il faut croire que les soupçons étaient fondés, car Pierre-Corneille et son frère Philippe n’imaginèrent pas mieux que de foutre le feu à la maison maternelle de Verneuil, le 30 juillet 1670, pour faire disparaître les fameux registres. Et quiconque voulût jouer un rôle de pompier en fut dissuadé à la pointe de leurs fusils !
Un pareil scandale ne pouvant demeurer impuni, notre malfaiteur fut arrêté avant de s’échapper en Angleterre et jeté en prison le 25 août. Quelques jours plus tôt, à Saint-Germain-en-Laye, Hector de Marle avait obtenu devant le Conseil du roi « d’instruire et de juger l’affaire en dernier ressort et sans appel » en lieu et place des officiers vernoliens, craignant de toute évidence d’éventuelles complaisances locales. En foi de quoi, le 15 novembre 1670, la cause fut entendue. Pierre-Corneille était condamné au bannissement perpétuel, à cinq cents livres d’amende et à la confiscation de ses biens. Ce n’était là qu’un début…
Dans de telles conditions, on peut penser que la pieuse et honorable famille des Bertrand avait dû prendre certaines distances avec celle des Blessebois.

Le soldat Paul Bertrand
Cela dit, Paul Bertrand n’est donc ni très jeune pour l’époque ni encore marié lorsqu’il débarque au Canada avec l’un des régiments de Vaudreuil, lequel est placé sous le commandement de Frontenac, gouverneur général de la Nouvelle-France.
Là-bas, les batailles se succèdent contre les Indiens iroquois et leurs alliés anglais. La campagne s’achèvera par une série de victoires et un traité de paix sera signé avec les nations indigènes.
Paul n’a pas laissé de témoignage de ses faits d’armes. Mais après avoir servi le Lys contre la Rose, il devient cultivateur à Batiscan, un village qui porte le nom d’un affluent du Saint-Laurent. Pour cela il épouse, le 3 juin 1697, Gabrielle Baribeau veuve Le Bellec (fille du maître sabotier François Baribeau et de Perrine Moreau). Née le 17 décembre 1672 à Charlesbourg, en Québec, celle-ci lui donnera huit enfants alors qu’elle en a déjà eu deux de son précédent mariage(23).
À Batiscan, la première trace écrite de la présence de Paul Bertrand date du 6 février 1695, en tant que parrain d’une fille de Jacques Thifault et Marie-Anne L’Escuyer. Par la suite, les registres paroissiaux et les actes notariés s’ornent plusieurs fois de sa belle signature suivie d’un paraphe non moins révélateur de son éducation. Et quand le surnom de Saint-Arnaud apparaît, il n’est pas de sa propre main mais ajouté par celle du curé ou du clerc, probablement pour le différencier d’un homonyme.
Ce surnom de Saint-Arnaud, d’où lui vient-il ? Nul ne le sait avec certitude. Une hypothèse serait que Paul Bertrand (ou sa famille) aurait possédé une terre dans la petite commune de [Bois-Arnault, située à 19 km à louest] de Verneuil. Il reste que la majorité de sa filiation adoptera ce patronyme qui, au cours du temps, sera diversement orthographié (St-Arnauld, St-Arnault, St-Arnaux, St-Arneault, St-Arnold, St-Arnou, St-Arnould, St-Arnoult, St-Arnoux, Santineau, Santana…) et essaimera jusqu’en Louisiane.
Petite précision. Le maréchal de Saint-Arnaud qui s’illustra de sinistre façon au xixᵉ siècle, et en particulier sous le second Empire, n’a rien à voir avec la famille qui nous intéresse(24).

Descendance et héritage
Le climat de la Nouvelle-France, malgré ses rigueurs, a de belles vertus sur la santé. À telle enseigne que Paul Bertrand meurt le 27 juillet 1739, à l’âge de soixante-dix-huit ans, et qu’à travers ses huit enfants sa progéniture a formidablement prospéré. Il est vrai que les foyers québécois ont longtemps compté une douzaine d’enfants en moyenne, rarement moins de quinze (l’Église y veillait), et que la mortalité infantile y fut toujours moindre qu’en France même. Là, en effet, point de grandes guerres. Ni de pestes ou de famines… Jusqu’à ce que le royaume perde ces « quelques arpents de neige », selon l’expression méprisante de Voltaire, guère plus de cinquante mille Français ont entrepris le voyage. Et moins de six mille y ont fait souche puis transmis leurs noms à la postérité. Pourtant, aujourd’hui, un bon quart des trente-deux millions de Canadiens sont francophones. On appelle ça « la revanche des berceaux ». Et quel bonheur pour nous z’aut’, normands de toujours ou d’adoption, que de découvrir soit une histoire locale, soit des patronymes ou des origines, en tout cas une culture et des parlers partagés en Amérique du Nord !
En attendant, la terre que Paul Bertrand laboura à Batiscan n’a jamais été perdue par sa famille, laquelle s’y réunit chaque année. La seule chose que Paul Bertrand n’a pas pu transmettre fut la propriété du Pot d’Étain de Verneuil, dont il apprit par le courrier d’un sien cousin, en 1732, qu’il avait héritée en dernier recours. Cette hostellerie étant grevée d’une rente annuelle et perpétuelle de cent livres due depuis vingt-sept ans aux religieuses de l’abbaye Saint-Nicolas de Verneuil – dette à laquelle s’ajoutait, paraît-il, le coût des réparations entre-temps engagées par elles –, un procès transatlantique s’ensuivit. Paul Bertrand le perdit à Verneuil, en première instance. Il réussit à faire valoir ses droits en deuxième instance devant le Parlement de Rouen mais n’eut d’autre choix, alors, que de vendre l’établissement par l’intermédiaire de son fondé de pouvoir François Levasseur, le 4 mai 1733 (transaction qu’enregistra le notaire vernolien Louis Billette). Nicolas Poullain l’acquit sept mille livres, dont quatre mille huit cents d’arrérages furent versées aux religieuses. Pour le reste, Paul devait percevoir une rente annuelle de trois cents livres.
Entre les deux rives de l’Atlantique, de nos jours, ce genre d’affaire n’est pas forcément mieux réglé, ni la justice plus rapide…

Les retrouvailles
Nous avons précédemment évoqué plusieurs communes du Pays d’Avre et d’Iton mais point Rueil-la-Gadelière. Or ce village de l’Eure-et-Loir situé à huit kilomètres au sud de Verneuil ne fut pas uniquement la terre d’élection – bien plus tard – du peintre Maurice de Vlaminck. Là, dans un petit hameau, résidait au cours des années cinquante une romancière en vogue, sa voisine immédiate. Ses romans d’amour à l’eau de rose, qu’elle signait Magali, jouissaient même d’un grand succès au Québec. Elle fonda à Verneuil une section locale de l’association France-Canada puis y organisa son congrès international en 1957 ainsi que toutes sortes d’autres manifestations afin de célébrer la Belle Province.
Nous pourrions aussi nous arrêter, beaucoup plus longuement, sur le sacrifice de ces jeunes hommes venus d’outre-Atlantique, au cours des deux conflits mondiaux, pour défendre notre sol et notre liberté. Plusieurs cimetières des environs en témoignent s’agissant de la dernière guerre. En particulier celui de Bérou-la-Mulotière, à mi-chemin de Montigny et Tillières-sur-Avre, où l’on peut voir la tombe de trois aviateurs de la Canadian Air Force morts dans la nuit du 10 au 11 juin 1944. Ils avaient une vingtaine d’années, et une pale d’hélice a été conservée de leur Lancaster abattu. Elle a été posée devant leurs stèles mêlées à celles de leurs coéquipiers de la RAF, et y est toujours visible…
À Verneuil même, Hector Sylvestre(25), soldat à la compagnie « A » du 1st Canadian Parachute Battalion (3rd Parachute Brigade, 6th Airborne Division), a été fusillé par les Allemands le 17 août 1944, aux côtés des résistants André Chasles, Jacques et Bernard Girard, Jean Pothin et Marius Bazile, deux jours avant la libération de cette ville. Un monument a été érigé en leur souvenir au fond du parc de la mairie, lieu de leur supplice dans un trou de bombe qui fut ensuite comblé par leurs bourreaux. Chaque année M. Jacques Bayet, seul survivant des FFI vernoliens, vient rendre l’hommage solennel qui est dû à ces héros. Avec d’autant plus d’émotion qu’il avait passé avec eux et Hector Sylvestre toute la semaine précédant leur arrestation. En effet Jacques Bayet et l’un de ses compagnons échappèrent de peu à l’ennemi, ayant été prévenus juste à temps – au retour d’une mission à vélo – qu’ils avaient été dénoncés.
Une preuve supplémentaire qu’entre la Normandie, le Grand-Perche, le sud de l’Eure et la Nouvelle-France, il y a plus qu’une affinité élective ou une histoire d’amour : un incontournable sentiment d’appartenance réciproque.

D’une rive l’autre
À Batiscan, en 2004, un autre monument a été érigé. On peut y lire ceci : « Hommage à nos ancêtres, Paul Bertrand dit Saint-Arnaud (1661-1739), originaire de Verneuil-sur-Avre en Normandie, et Gabrielle Baribeau (1762-1725), originaire de Charlesbourg en Québec. Depuis leur mariage, le 3 juin 1697, ils ont habité ici et défriché cette terre que leurs descendants ont cultivée sans interruption jusqu’à nos jours. » Depuis lors, les échanges se sont multipliés et des liens durables renoués, par-delà l’océan, entre les Bertrand Saint-Arnaud et les Vernoliens, les Tilliérois, les Béroutins et les autres « pays » qui se visitent régulièrement. Tant il est vrai que, comme l’a écrit Marie-Paule Saint-Arnaud(26), de Montréal, « le désir d’aller aux sources est sensiblement la même quête que celle d’un enfant adoptif qui recherche ses parents biologiques ». En 2006 Verneuil-sur-Avre a même inauguré une allée nommée « Paul Bertrand dit Saint-Arnaud », puis en 2008 fixé dans l’église de la Madeleine une plaque commémorative forgée et offerte par sa descendance.

Un devoir de mémoire
Pendant plus de cent ans la Normandie et la France ont perdu le contact avec leurs cousins d’Amérique. Il fallut attendre le début du xxᵉ siècle pour que l’histoire du Canada français soit redécouverte, grâce à un roman de Louis Hémon. Il s’intitulait Maria Chapdelaine et s’achevait sur ces lignes :
« Nous sommes venus il y a trois cents ans, et nous sommes restés… Ceux qui nous ont menés ici pourraient revenir parmi nous sans amertume et sans chagrin, car s’il est vrai que nous n’ayons guère appris, assurément nous n’avons rien oublié.
» Nous avions apporté d’outre-mer nos prières et nos chansons : elles sont toujours les mêmes. Nous avions apporté dans nos poitrines le cœur des hommes de notre pays, vaillant et vif, aussi prompt à la pitié qu’au rire, le cœur le plus humain de tous les coeurs humains : il n’a pas changé.
» […] Rien ne changera, parce que nous sommes un témoignage. De nous-mêmes et de nos destinées, nous n’avons compris clairement que ce devoir-là : persister… nous maintenir… Et nous nous sommes maintenus, peut-être afin que dans plusieurs siècles encore le monde se tourne vers nous et dise : Ces gens sont d’une race qui ne sait pas mourir… Nous sommes un témoignage. »
Or donc, par un juste retour des choses, nous tous qui avons à cœur l’histoire de France et de la Normandie, nous devons aussi apprendre à dire Je me souviens

Fabien Perucca
(président d’Adbstar-France)

Remerciements : tout d’abord à M. Raymond Saint-Arnaud, de l’île d’Orléans, au Québec, pour ses patientes recherches, sa vigilance et son amicale complicité qui ont permis de grandement enrichir cet article. Puis à Mmes Marie-Paule St-Arnaud, Yolande St-Arneault et Astrid Lemoine-Descourtieux, au père René Bacon (auteur de La Famille St-Arnaud à la rivière Batiscan, 1695-1770, parue aux Éditions du Bien Public en 1980) et au père Didier Henry, de Châteauneuf-en-Thymerais, aux associations Forced Landing (M. Joël Legout), France-Québec et Adbstar-Canada (et leurs 222 membres actuels), au Cercle généalogique de l’Eure et au musée de l’Émigration française au Canada de Tourouvre (Mme Anne-Claire Fillâtre) ainsi qu’à MM. Jacques Bayet, Denis Bertrand, Régis Billon, Gilles Bureau, Jacques Demaire (maire honoraire de Verneuil-sur-Avre), Étienne Dugué (fondateur et président honoraire d’Adbstar-France), Pierre Durand, Pierre Genevois, Jean Herbette, Alain Lecerf, Denis Lepla, Jacques L’Heureux, Bernard Lizot, Marc Massonneau, Christian Perron, Louis Petiet, Jean-Pierre Raux, Nicolas Trotin, Alain St-Arnaud, Claude St-Arnaud et Raymond St-Arnaud (de Québec) pour leurs différents travaux, leurs informations et leur fidélité sans faille.




– NOTES –
(1) Selon les actes et les registres consultés, ce nom est écrit avec ou sans « d » final. Par convention, et parce que Paul signait ainsi, nous avons retenu la graphie « Bertrand » dans notre article.
(2) Cf. les Archives départementales d’Évreux, liasse H-1339. Source : Raymond Saint-Arnaud (de l’île d’Orléans).
(3) Elle a épousé Charles Petremont le 15 juin 1679 en l’église de la Madeleine de Verneuil et est décédée en 1720. Leur fille Madeleine a hérité du Clos Poulain à Poëlay (un hameau aujourd’hui situé à l’entrée est de Verneuil) qu’elle vendit le 18 mars 1720. Source : Raymond Saint-Arnaud (de l’île d’Orléans.
(4) Peut-être a-t-il épousé une certaine Marie Chavigny au même âge que sa sœur Catherine.
(5) Cintray est un village situé à 6,5 km à l’ouest de Verneuil. Jusqu’à la fin 1660, à Francheville (village voisin de Cintray), le prieuré bénédictin de Saint-Martin fut sous la gouverne de Jacques de Chevestre. Parmi les membres de sa famille on relève Maître Simon de Chevestre, docteur en décret, doyen d’Évreux en 1460, ainsi que cinq chevaliers de Malte : Nicolas de Chevestre de Cintray (reçu par l’ordre en 1630), deux Alexandre (l’un en 1657, l’autre en 1692), Jean-François (en 1685) et Jean-Charles (en 1696). Nicolas et Jean-François, décédés en 1700 et 1735, ont été inhumés dans la cathédrale Saint-Jean de La Valette, à Malte, où l’on peut toujours admirer leurs magnifiques dalles funéraires. Enfin, il est à noter que la noble dame Françoise de Chevestre, fille de Tanneguy seigneur de Cintray, fut l’épouse de Jean-Louis de Laval, chevalier seigneur de Montigny, qui était le propre frère de Mgr François de Laval, premier évêque du Québec (voir plus loin, à ce sujet, la note n° 18).
(6) Maître Nicolas de Dambry fut nommé en 1624 aux offices de receveur particulier héréditaire, ancien, alternatif et triannal des gabelles, au grenier à sel de Verneuil et aux Chambres de L’Aigle et Brézolles. Il mourut en 1691 à l’âge vénérable de cent quatre ans. Ses nièces Angélique, Madeleine et Marguerite épousèrent toutes trois de nobles écuyers et sieurs de fiefs. Il est à noter que, contrairement aux usages de l’époque, ce ne fut pas le parrain qui transmit son prénom au filleul mais l’époux de la marraine. Paul de Blessebois se vit-il refuser ce privilège parce qu’il était huguenot, lui dont le fils abjura plus tard la foi réformée ? Mais un protestant pouvait-il être le parrain d’un papiste ? Si l’un de nos lecteurs pouvait nous éclairer à ce sujet, nous l’en remercions par avance.
(7) Paul Beurier, sieur de Cougnay, Conguay (ou Congué) et des Minières, fils de Jean Beurier et Anne de Maubuisson, épousera Marie de Brétignières et succédera à son père comme receveur du grenier à sel de Verneuil vers 1663 (Cf. Vernoliana n° 8, p. 11, Bernard Lizot). Ce grenier était alors voisin du Pot d’Étain.
(8) Aujourd’hui Tillières-sur-Avre.
(9) L’île Le Veneur, longue de 22 km et située sur la rivière Eastmain, au Québec, a été baptisée ainsi en mémoire du cardinal.
(10) Il est vrai que les Amérindiens ne sont autres que de lointains cousins, les Solutréens, partis du sud de la France et de l’Espagne pour conquérir parmi les tout premiers ce qu’il est convenu d’appeler le « Nouveau Monde », il y a plus de quinze mille ans, lors de la dernière glaciation… Leurs tailles de silex et des séquences ADN récemment recoupées l’ont établi. Cf. les travaux de l’anthropologue Dennis Stanford, de l’archéologue Bruce Bradley et du généticien Douglas Wallace.
(11) (1611-1687). À Montréal, près de la basilique Notre-Dame, une rue « de Brésoles » rend hommage à cette religieuse hospitalière venue en 1659 participer à la fondation de l’Hôtel-Dieu (Brézolles est une ville de l’Eure-et-Loir située à une dizaine de kilomètres au sud de Montigny-sur-Avre). Montréal compte aussi une avenue Verneuil, mais pour des raisons non élucidées à ce jour.
(12) Montigny-sur-Avre appartient au département de l’Eure-et-Loir, Tillières-sur-Avre à celui de l’Eure. Toutefois ces deux villes font également partie du Pays d’Avre et d’Iton.
(13) Son père est le descendant de l’un des compagnons de Clovis qui fut non seulement le contemporain de Hugues Capet, le fondateur de la dynastie capétienne, mais le premier baron de France en tant que premier guerrier franc à se faire baptiser par saint Rémy. Quant à son grand-père, il résidait dans la paroisse Saint-Jean de Verneuil lorsqu’il décéda, en 1575. Il fut porté en sépulture par les trois confréries de charité vernoliennes jusqu’en l’église de Montigny, et sa sœur fut elle-même religieuse à l’abbaye Saint-Nicolas.
(14) Cf. www.francoisdelaval2008.org/site/elements_histoire.htm
(15) Qui s’étend, en fait, à toute l’Amérique française.
(16) François de Laval a été béatifié le 22 juin 1980 par Jean-Paul II.
(17) Nous devons ces informations à M. Denis Lepla.
(18) Le 5 mai 1675, en l’église de Montigny, Mgr François de Laval assista au baptême de son neveu éponyme qui n’avait été qu’ondoyé à sa naissance, le 24 juin 1668. Transcription de l’acte : « Ce jourd’hui, cinquième jour de may mil six cent soixante et quinze, par moi prêtre de Montigny a été baptisé sous condition François de Laval, fils de messire Jean-Louis de Laval, chevalier seigneur de Montigny, et de dame Françoise de Chevestre, sa femme. Le parrain, révérend père en Dieu, messire François de Laval, premier évêque de Québec, capitale de tous les pays de Nouvelle France, qui a nommé ledit baptisé né du vingt-quatrième juin mil six cent soixante et huit ; la marraine, dame Marguerite Baron veuve de feu René d’Alouville, en son vivant chevalier seigneur de La Rosière, qui a déclaré ne savoir signer, étant privée de la vue ; quant audit révérendissime et illustrissime évêque de Québec [il] a signé avec ladite dame de Chevestre, présente, mère dudit baptisé ; ont été aussi présents audit baptême Gabriel de Blotteau, écuyer, sieur du Breuil, et Adrien Daniel, sonneur, qui ont signé avec moi, vicaire soussigné, de ce interpellés suivant l’ordonnance. » Acte orné de toutes ces signatures dont celle de « François, evesque de Quebec ».
(19) Cf. le Programme de recherches démographiques et historiques de l’université de Montréal.
(20) Cf. la Revue généalogique normande, n° 105, pp. 32 et 33.
(21) Cf. volume 30, hiver 2004, p. 127 (il s’agit là de la revue officielle de la Société de généalogie de Québec).
(22) « En écrivant Le Zombi du Grand-Pérou [Pierre-Corneille Blessebois] dota la France de son premier roman colonial. À cette époque l’exotisme et surtout l’exotisme américain n’avaient encore rien fourni à la littérature française, sinon dans les relations de voyage et dans les recueils géographiques. Avec Le Zombi, les îles apparaissent dans les lettres avec un grand nombre de mots du vocabulaire créole. Et à cet égard Le Zombi est un monument linguistique qui vaudrait la peine qu’on l’étudiât de très près. » (L’Œuvre de Pierre-Corneille Blessebois, par Guillaume Apollinaire, introduction, p. 5, Bibliothèque des Curieux, Paris, 1921.)
(23) Son premier mari, Guillaume Le Bellec, est né en 1663 à Plouvien, en Bretagne, et s’est lui-même installé à Batiscan en 1684. Son fils Louis lui vaudra quinze mille descendants recensés en 1999.
(24) Son vrai nom était Armand Jacques Leroy (1798-1854). « On ravage, on brûle, on pille, on détruit les moissons et les arbres », écrit-il à propos de ses campagnes d’Algérie, lui qui se vantait également d’avoir créé une « prime à la tête coupée » et de pratiquer des massacres par « enfumade », ce qui consistait à asphyxier par centaines des indigènes poussés dans des grottes. Comme disait de lui Victor Hugo, il « avait les états de service d’un chacal ».
(25) Descendant d’un Français de l’Aube qui se maria avec Barbe Nepveu le 27 août 1667 à Québec, il est né le 14 septembre 1921 à Kirkland Lake, dans l’Ontario, et à l’issue de son service militaire il s’engagea le 30 juin 1943 dans les forces armées du Commonwealth (à la suite d’un drame familial autant que personnel). Formé en Angleterre à partir de septembre 1943, il fit partie de la crème des crèmes de l’élite des commandos canadiens. Malheureusement, dans la soirée du 5 juin 1944, il tomba dans les marais de la Dives inondés par les Allemands, près de Cabourg mais hors de la zone d’atterrissage d’abord prévue pour attaquer la batterie de Merville. Sauvé par les époux Vermughen, et caché jusqu’au 4 juillet parmi vingt-deux autres paras canadiens dans l’une de leurs fermes, il passa ensuite de maquis en maquis, derrière les lignes allemandes, grâce aux FFI. Le 15 juillet 1944, il parvint à Breteuil-sur-Iton où il effectua des missions d’espionnage avant d’arriver à Verneuil-sur-Avre. À l’égard de sa famille, alors que réputé « disparu » le 6 juin 1944, il fut par erreur, sur Radio Canada, déclaré « libéré » d’un camp de concentration en mai 1945. (Sources Forced Landing, Joël Legout et la famille d’Hector Sylvestre.)
(26) Son père fut l’un des imprimeurs qui se mirent au service du général de Gaulle et de la France libre, lors de la Deuxième Guerre mondiale.


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